Par une journée de printemps encore timide à Tokyo, nous sommes invités à découvrir les coulisses de la compétition internationale d’huile d’olive organisée par la Chambre de Commerce Italienne : le Japan Olive Oil Prize. Entretien avec Sandro Fulzi, responsable de l’organisation du JOOP, et dégustation des huiles en course avec les 6 juges officiels, pour savoir qui gagne quoi dans cette affaire.

In Olio Veritas – Merci de nous ouvrir les portes de JOOP en plein concours. Concrètement, comment ça marche une compétition internationale d’huile d’olive ?
Sandro – En gros, les producteurs qui respectent le cahier des charges de la compétition (principalement en termes de production annuelle minimale : 1000 kg homogène par huile chez JOOP par exemple) peuvent inscrire une ou plusieurs de leurs huiles d’olive de l’année. Ils s’acquittent des frais de participation, allant de 150€ à 250€ par huile selon les compétitions, puis expédient avant une date donnée des échantillons et les certificats d’analyses chimiques officiels qui vont avec.

Passée cette date, un jury composé de juges officiels se réunit pour évaluer les huiles à l’aveugle, c’est-à-dire en faire une analyse sensorielle qualitative. C’est ce qu’ont commencé à faire nos six juges ! Chacun met une note sur 10 à chaque huile dégustée en fonction des sensations et des arômes, puis la moyenne est faite pour savoir dans quelle catégorie se trouve l’huile : médaille d’Or, d’Argent, de Bronze, etc. Chaque compétition a ses critères et ses catégories.
Les huiles médaillées reçoivent des trophées et des supports de communication pour faire valoir leur victoire. De plus, les organisateurs des concours se chargent de faire la promotion des huiles gagnantes tout au long de l’année. Par exemple, les huiles primées au JOOP sont présentées au public japonais et aux professionnels de la restauration lors d’événements food, de foires, de cours de dégustation, mais aussi à la presse spécialisée. C’est une grosse partie du boulot !
IOV – Les frais d’inscription sont assez conséquents, comment les producteurs retombent-ils sur leurs pattes ?
Sandro – L’avantage est double pour les producteurs : d’une part, ils peuvent arborer leur médaille et bénéficier de la notoriété du concours et de ses juges pour garantir la qualité de leur huile aux yeux des consommateurs. D’autre part, ils bénéficient de tout le travail de promotion que nous faisons dans l’année auprès du marché japonais, qui a un très gros potentiel pour l’huile d’olive, et de nos contacts auprès des importateurs.

IOV – Mais pour ceux qui ne gagnent pas ?
Sandro – Comme on dit ici : « tout le monde veut gagner, mais personne ne veut participer ! ». En réalité c’est rare de repartir sans rien, mises à part les huiles qui présentent des défauts. Nous avons pensé les prix par catégories et non par classement : toutes les huiles ayant 8 à 8,99/10 reçoivent l’Argent, de 9 à 9.49 l’Or et jusqu’à 10/10 la mention « Best in class ». De plus nous avons des catégories par pays et sur d’autres critères : AOP, IGP, huile monovariétale, biologique, packaging, etc. Finalement, tout le monde est gagnant !
IOV – Et les organisateurs aussi sont gagnants ?
Sandro – Disons que JOOP s’autofinance. Les frais de participation des producteurs couvrent l’organisation du concours et des événements de promotion. Nous sommes dans le cadre de la CCI, un organisme para-public, donc c’est un peu particulier. Nous ne souhaitons pas gagner de l’argent avec cet événement, mais plus importer la culture de l’huile de qualité au Japon. Si nous avons plus de participants, nous aurons plus de fonds pour avoir plus de juges internationaux renommés et plus de force de promotion pour les huiles primées chez nous.

Certaines compétitions font appel à des sponsors pour voir plus grand. Nous restons prudents sur ce point, car quand une entreprise sponsorise une compétition à laquelle elle participe, on n’est jamais loin du conflit d’intérêt, surtout en Italie ! (Rires)
IOV – Quel est le quotidien des juges pendant cette semaine de compétition ?
Sandro – Chaque jour nos six juges doivent déguster à l’aveugle entre 40 et 50 huiles et remplir un formulaire d’évaluation avec une note sur 10 et des précisions si l’huile est considérée comme défectueuse. Ils fonctionnent en deux équipes de trois pour discuter des huiles. Comme vous avez pu le constater, après une petite dizaine d’huile déjà la gorge brûle et le palais faiblit. Ils vont a leur rythme, ont de l’eau pétillante, du yaourt, des biscottes et des tranches de pomme à disposition. Mais surtout pas de café !

Quand ils arrivent à saturation, ils vont déjeuner et se reposer. Le soir nous organisons des événements : cours d’oléologie, conférence thématique, présentation presse, etc. pour profiter de leur présence et de leur expertise. Vendredi 12 avril, ce sera la cérémonie de remise des prix, dommage que vous soyez déjà repartis !
IOV – C’est la 7ème edition de JOOP. Comment la compétition a-t-elle évolué au fil des années ?
Sandro – La Chambre de Commerce italienne a lancé ce concours d’huile d’olive en 2013, dans le but d’aider les huiles d’olive extra vierges italiennes à pénétrer le marché japonais. Nous en sommes à la 7ème édition et l’objectif est devenu plus ambitieux : promouvoir des huiles d’olive de qualité quelles que soient leurs origines et avoir un rayonnement au delà du Japon. Nous avions commencé avec moins de 100 huiles en compétition, et pour la session de 2019, nous en avons reçu près de 250. Cela reste modéré par rapport à d’autres concours qui peuvent atteindre plus de 1000 huiles, mais l’évolution va dans le bon sens, c’est ça qui compte !
IOV – Le concours étant organisé par la CCI Italienne, ne craignez-vous pas l’image d’une compétition par et pour les Italiens?
Sandro – C’était le cas au début, mais aujourd’hui nous avons étendu notre champ d’action et la notoriété a suivi puisque nous faisons maintenant partie des 30 concours internationaux les plus importants. Nous faisons appel à des juges renommés de nationalités différentes : Konstantinos Liris, le chef du panel, est Grec, Miciyo Yamada Japonaise, Pablo Voitzuk Argentin, Maria-Angeles Calvo-Fandos Espanole, et deux Italiens quand même : Pietri-Paolo Arca et Antonio Giuseppe Lauro. Nous veillons à ce que toutes nos communications soient en anglais et nous collaborons avec d’autres ambassades comme relais vers les producteurs de leur pays. Ainsi, de plus en plus de pays différents participent à la compétition : Espagne, Grèce, Portugal, Tunisie, Maroc, Turquie, Etats-Unis, Australie. Il ne manque plus que la France, on compte sur vous pour l’année prochaine !

In Olio Veritas – Cocorico ! Merci Sandro, Antonio, Pablo, Miciyo, Maria-Angeles, Pier Paolo et Konstantinos.
Passée la compétition à Tokyo, nos six juges s’envoleront vers d’autres concours. Ces compétitions internationales fleurissent un peu partout sur la planète, par passion pour l’huile d’olive mais aussi pour servir le marketing auprès des consommateurs en quête de qualité mais un peu perdus face aux étiquettes.
Le métier de juge international d’huile d’olive est prenant et en constante évolution, car les technologies de fabrication de l’huile d’olive extra vierge ne cessent de progresser, ce qui a un impact sur le goût, et donc les analyses sensorielles. Fins palais, la plupart des juges sont aussi consultants auprès des producteurs pour les aider à améliorer les qualités gustatives de leurs huiles afin de répondre aux attentes des concours et des consommateurs…

Pour en savoir plus sur JOOP :
Une réflexion sur “À la table des juges d’un concours international d’huile d’olive”