Toshiya Tada, à la recherche de la qualité perdue…

C’est à Ginza, le quartier chic de Tokyo, dans un petit immeuble quelque peu délabré, qu’a élu domicile l’Association des Sommeliers d’Huile d’Olive du Japon et son école d’apprentis-experts. En cette journée pluvieuse du mois de mars, nous y avons rendez-vous avec Toshiya Tada, le grand ponte de l’huile d’olive au Japon. Il nous reçoit dans la salle des études pour partager sa vision inspirée de ce que signifie Qualité quand on parle d’huile d’olive.

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La petite enseigne d’Olive Japan dans une rue de Ginza. – © In Olio Veritas

In Olio Veritas – Tada-san, merci de nous recevoir. Le Japon regorge de spécialités culinaires plus savoureuses les unes que les autres, alors comment un Japonais comme vous tombe-t-il dans l’huile d’olive ?

Tada-san – Dans les années 1990, j’étais banquier d’affaire à New York. Mais en 1996 j’en ai eu assez et j’ai voulu m’investir dans l’industrie alimentaire, plus concrète et stimulante. J’ai commencé par importer au Japon des citrons de Californie. J’ai ensuite élargi la gamme à d’autres produits alimentaires d’exception. Mais j’ai vite réalisé que les consommateurs mal informés étaient complètement perdus dans leurs achats. Prenons le cacao par exemple : la non transparence sur la composition et l’origine des produits, accompagnée d’un marketing bien rodé, font qu’à la Saint Valentin les Japonaises offrent à leur moitié des chocolats de plus en plus mauvais ! Je me suis alors senti la vocation d’enseigner la vérité au consommateur japonais.

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« Votre huile d’olive est certainement fausse ! », c’est le titre du livre de Tada-san pour essayer de réveiller le consommateur japonais, dupe des pires fraudes. – © In Olio Veritas

Mais par où commencer parmi toutes les filières concernées ? Le chocolat ? Les fruits ? Le vin ? Le fromage ? Par l’huile d’olive bien sûr ! C’est un produit encore peu établi au Japon, et dont les informations sur la qualité sont difficiles à obtenir mais aussi à comprendre. En 2005, j’ai ainsi fondé l’Olive Oil Sommeliers Association of Japan (OSAJ), une structure indépendante regroupant des oléiculteurs, des importateurs ou encore des distributeurs, dans le but de développer le marché de l’huile d’olive de qualité, tout en donnant aux consommateurs les bonnes informations. Aujourd’hui notre association compte 1800 membres.

IOV – Quelles sont les actions concrètes de l’OSAJ au Japon ?

Tada-san – Tout d’abord, nous organisons chaque année à Tokyo une compétition internationale d’huile d’olive : Olive Japan, dont la 7ème édition aura lieu du 2 au 5 avril 2019 avec nos 25 juges internationaux, parmi lesquels Margaret Edwards que vous connaissez déjà. Cette compétition est assez particulière dans le monde de l’huile d’olive, car nous jugeons ici que la qualité d’une huile vierge extra vient avant tout de sa complexité et de l’harmonie de ses arômes, plutôt que de la vérification de critères absolus et quasi-scientifiques. L’année dernière, j’ai goûté chacune des 727 huiles en compétition : j’y tiens pour cultiver mon palais !

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Les vainqueurs de Olive Japan sont présentés au grand public dans un mall.

Ensuite, nous avons l’école des sommeliers d’huile d’olive du Japon. J’ai créé trois programmes certifiants à partir de rien, car il n’y avait aucune littérature sur l’oléiculture et la production d’huile d’olive en Japonais. Ce sont des cours très denses qui permettent de devenir “Olive Oil Sommelier”. Nous comptons plus de 2000 diplômés aujourd’hui, et l’idée est qu’un maximum de professionnels puissent se former pour maîtriser toutes les notions d’histoire, de culture, de production et de distribution nécessaires à la bonne qualité d’une huile d’olive.

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Le futur maître sommelier a du pain sur la planche ! – © In Olio Veritas

En plus de ces deux activités principales, l’OSAJ propose aussi des prestations de conseil pour des marques d’huile d’olive ou des salons alimentaires. Et personnellement j’interviens parfois comme juge lors d’autres compétitions internationales, comme en Australie, ou locales, à Shodoshima notamment.

IOV – Shōdoshima justement est le haut lieu de l’huile d’olive japonaise. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la production locale ?

Tada-san – Malgré ses 110 ans d’histoire, la production d’huile d’olive au Japon est encore très anecdotique et ne couvre qu’une infime partie de la consommation domestique. On compte une centaine de producteurs dans tout le pays, dont 40 sur l’île de Shōdo et le reste entre la préfecture de Shizuoka, au pied du Mont Fuji, et le nord de l’île de Kyūshū. C’est peu, et la plupart de ces producteurs sont assez “amateurs” en la matière, car l’olive est rarement leur activité principale. Je me souviens par exemple d’un petit producteur de Shōdoshima qui a voulu filtrer son huile avec d’épais filtres en carton, et qui est ressorti sans une seule goutte d’huile car le carton avait tout bu ! Ajoutez à cela le climat très humide du Japon, et vous comprendrez que la qualité des huiles d’olive produites localement est très aléatoire.

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Des oliviers sur Shodoshima

IOV – Le International Olive Council (COI), principale institution internationale du secteur, annonce pourtant que le Japon va bientôt rejoindre ses rangs en tant que pays producteur. N’est-ce pas prématuré ?

Tada-san – C’est surtout faux ! Le COI aimerait en effet bien que le Japon entre comme membre, et paye ainsi les frais d’adhésion et de cotisation exorbitants qui vont avec. Mais je n’y crois pas. Les producteurs sont beaucoup trop petits ici pour que cela vaille le coup. De plus nous avons au Japon des règles très particulières pour les produits alimentaires. L’alignement des normes avec celles du COI est un trop vaste chantier pour l’instant. Enfin, ici la dénomination « extra vierge » ne parle pas au consommateur. Ce dernier veut connaître trois éléments seulement : la nature générique du produit – de l’huile d’olive en l’occurrence – la marque et le prix.

IOV – Qui sont les principaux consommateurs d’huile d’olive au Japon ?

Tada-san – L’huile la plus consommée au Japon est l’huile de canola, un dérivé du colza. Mais celle-ci n’est pas bonne pour la santé : c’est un produit industriellement raffiné et souvent bourré d’OGM. De plus en plus de Japonais, de tout âge et de toute catégorie sociale, s’intéressent à l’huile d’olive pour ses bienfaits pour la santé. Cette tendance est aussi portée par les professionnels, notamment les chefs de restaurant prestigieux. Mais comme l’huile d’olive reste un produit cher et dont la qualité n’est pas garantie, la ménagère japonaise est tiraillée entre le prix et la santé de son foyer.

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De l’huile d’olive importée d’Espagne dans les rayons d’un grand magasin Tokyoïte – © In Olio Veritas

IOV – Comment Olive Japan peut aider concrètement les consommateurs à s’y retrouver en magasin ?

Tada-san – Je réfléchis depuis plusieurs années à créer un label “Olive Japan”, un macaron collé sur les bouteilles d’huile d’olive vierge extra de qualité, en lequel le consommateur pourra avoir confiance. Mais l’obstacle principal réside dans le fait que nous ne maîtrisons pas la chaîne de distribution suite à l’obtention du label. On ne sait jamais ce que les grossistes ou les distributeurs font des huiles entre le moment où vous les avez goûtées et le moment où le consommateur les achète. Exposées à la lumière ou à la chaleur, elles peuvent facilement devenir rance, et le label n’y changera rien !

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L’impressionnant panel des huiles médaillées par Olive Japan en 2018. – © In Olio Veritas

Pour retrouver tous nos articles sur l’huile d’olive au Japon, c’est par ici.

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