- Propriétaire : Eduard Susanna Nadal (et son associé Albert Barrobés)
- Marques : FRUIT&BRANCA et MAS DE FLANDI
- Depuis : 2009
- Lieu : Mas de Flandi, Calaceite, Aragon, Espagne
- Oliveraie : 40 hectares, 6000 arbres
- Variétés : 4 variétés différentes dont Empeltre, Picual et Arbequina
- Récolte : début octobre
- Moulin : Eduard est également moulinier et presse donc ses olives dans son moulin
- Production : 5000 à 8000 litres par an en moyenne
- Autres produits : /
- Spécificités : exploitant agricole et moulinier
Eduard Susanna, ou l’amour des choses bien faites
Une nouvelle histoire de reconversion réussie dans l’oléiculture avec Eduard Susanna, passé des cosmétiques à l’huile d’olive au tournant des années 2010. Rencontre avec un passionné qui cumule l’activité d’exploitant agricole avec celle de moulinier. Deux missions qu’il poursuit avec la même exigence de qualité.

Dans les pas de l’excellence italienne
Eduard Susanna a longtemps travaillé dans l’import export, principalement dans le secteur des cosmétiques et de la chimie fine. A New-York d’abord, puis à Barcelone, sa ville natale, où il développera sa propre entreprise. Mais au fil des ans, l’usure fait son œuvre et Eduard aspire chaque jour un peu plus à suivre ses rêves et vivre de sa passion pour la gastronomie. Mais aussi à produire de ses propres mains plutôt qu’à importer des produits finis. Le vin l’intéresse mais c’est un milieu déjà très concurrentiel, où les investissements sont particulièrement lourds. Alors il se tourne vers l’huile d’olive, qui offre à ses yeux de meilleures perspectives.
Avec l’argent de la vente de sa société, il se lance ainsi en 2009 dans un nouveau projet en Aragon, une région à quelques heures au sud de Barcelone que sa femme et lui connaissent bien pour y avoir restauré quelques années auparavant un magnifique domaine du 18ème siècle : le Mas de Flandi. Après avoir acheté 40 hectares d’oliviers dans la région, il multiplie les rencontres et les voyages car il ne compte pas se contenter de faire pousser des olives. Non, Eduard a une idée en tête : il veut être à la tête de son propre moulin, et pousser au maximum la qualité de l’huile qui en sortira.

De ses nombreux séjours en Italie, il retient notamment les rencontres avec Marco Mugelli – l’homme à qui l’on doit l’amélioration sensible des techniques d’extraction dans les moulins modernes – ou encore Giorgio Mori, dirigeant de la firme MORI-TEM dont les moulins sont particulièrement réputés à travers le monde. Des voyages et des rencontres qu’il résume ainsi : « En Espagne, on a longtemps privilégié la quantité à la qualité. En France, les méthodes sont encore très traditionnelles. L’Italie en revanche, avec des personnages comme Marco Mugelli ou la famille Mori, a pris des années d’avance en matière de technologie« .
Visite du moulin, thermomètre à la main
En 2012, après 3 années de voyages et formations – mais aussi de travaux – le moulin d’Eduard est fin prêt, et lui aussi. Un moulin ultra-moderne, que nous avons eu la chance de visiter.

« Toutes les étapes sont cruciales » nous met en garde Eduard alors que nous pénétrons dans le hangar où sont réceptionnées les olives d’octobre à décembre. Et la première de ces étapes, c’est de choisir le bon moment pour envoyer les petits fruits dans la ligne de production. Il est communément admis que les olives doivent être pressées le plus vite possible après avoir été cueillies, mais leur température est également très importante. Selon Eduard, c’est quand les olives sont à une température située entre 15°C et 18°C qu’il est idéal de les presser, pour optimiser l’équilibre entre arômes, polyphénols, amertume et ardence.
Or, au mois d’octobre, les journées sont encore chaudes en Aragon et les olives arrivent souvent à des températures supérieures à 20°C, ce qui peut pousser notre moulinier à attendre qu’elles rafraîchissent un peu à l’ombre de son hangar, voire sous l’effet des climatiseurs. A l’inverse au mois de novembre, les olives sont souvent trop froides quand elles sont livrées, et il préfère alors qu’elles réchauffent dans sa bâtisse avant de les envoyer en pression. Quant au mois de décembre, Eduard n’est plus bien sûr à l’avenir de vouloir encore ouvrir son moulin à cette période tant la facture est élevée pour maintenir une température autour de 20°C dans le bâtiment…

Under pressure
Quand les olives atteignent une température jugée satisfaisante, et sans qu’elles aient à attendre trop longtemps sur le bas côté, Eduard lance le processus de pression. Cela commence par l’effeuillage et le nettoyage des olives, pour s’assurer que les fruits soient bien débarrassés de tout ce qui est superflu : feuilles, résidus de terre, de poussière ou d’argile, mais aussi les bouts de fer provenant du matériel agricole et qui peuvent enrayer les machines du moulin. « Pour obtenir une huile savoureuse, il faut des olives bien propres mais aussi bien sèches. L’eau est l’ennemi du moulinier, mais c’est un mal nécessaire » explique Eduard, qui s’est ainsi équipé d’une souffleuse dernier cri pour sécher au mieux les olives après leur bain de rinçage.
Une fois nettoyées et séchées, les olives passent à la broyeuse à couteaux, dont Eduard et ses mouliniers déterminent la vitesse de rotation et de percussion en fonction de plusieurs paramètres : variété de l’olive, degré de maturité, culture irriguée ou au sec… Maîtriser la vitesse de la broyeuse présente deux avantages. D’une part, on évite de provoquer une émulsion entre l’huile et l’eau contenues dans l’olive, ce qui est important puisque tout le but du moulinage est de séparer les deux substances, pas de les mélanger. D’autre part, on influe également sur la granulométrie du broyat d’olives, et ce dans le but de maximiser le potentiel aromatique de l’huile qui en sortira après malaxage et centrifugation.

De l’intérêt du malaxage et de la centrifugation
Après le broyage intervient le malaxage, une opération qui vise à rompre tout phénomène d’émulsion et à faire agglomérer les particules d’huile en gouttes plus grosses, facilitant ainsi la séparation ultérieure d’avec l’eau. Là encore, tout est contrôlé et surveillé : durée de l’opération, vitesse du malaxeur, température de la pâte, qu’Eduard essaie de maintenir entre 22°C et 24°C pour optimiser l’équilibre organoleptique de l’huile… Ses mouliniers et lui goûtent ainsi la pâte toutes les 5 minutes pour adapter leurs réglages en temps réel.
Dès qu’elle atteint le point où l’huile et l’eau semblent prêtes à se séparer – généralement au bout d’un quart d’heure de malaxage – la pâte est ensuite envoyée dans le décanteur, qui se présente comme un long tube horizontal et n’est pas sans rappeler une torpille de sous-marin. Le tube en question est alors mis en rotation pour séparer l’huile, l’eau et les résidus solides sous l’effet combiné de la vitesse et de la gravité. Ici aussi, tout est une affaire de réglages : la vitesse de centrifugation est déterminée en fonction de la granulométrie de la pâte et de sa teneur en huile et en eau, tandis qu’il faut régler au millimètre près la profondeur de la buse qui permettra d’extraire l’huile contenue au centre du tube, sans attraper l’eau avec.

Tous ces réglages prennent évidemment beaucoup de temps. Bien que la capacité théorique du moulin soit d’une tonne d’olives par heure, Eduard parvient en réalité à en traiter tout juste 5 tonnes par jour en moyenne. « Et encore… je me souviens d’une journée de novembre où sont arrivées des olives de 9 producteurs différents, avec 9 variétés différentes ! On a dû faire à peine 2 ou 3 tonnes ce jour-là » se désole Eduard. Autant de raisons pour lesquelles il envisage, à compter de la prochaine récolte, de réduire le nombre de petits clients et d’augmenter ses tarifs pour ceux qui restent. Dans l’huile d’olive peut-être plus qu’ailleurs, la qualité et l’exigence ont un coût…
Le grand jeu des assemblages
Eduard, on l’a dit, est également oléiculteur. Propriétaire de 40 hectares et 6.000 oliviers dans la région de Calaceite et Horta, il s’est par ailleurs associé avec son principal client qui en possède le double. A eux deux, ils cultivent près de 20.000 arbres et 4 variétés différentes, dont la Picual, l’Arbequina, et l’Empeltre.

On se rend mieux compte de ce que cela représente quand on pénètre dans la chambre froide où sont entreposées les gigantesques cuves abritant l’huile d’Eduard et de son associé. Ou plutôt les huiles, au pluriel. Car les olives de chaque parcelle et de chaque variété sont pressées séparément, sur une période de plusieurs semaines entre octobre et novembre, ce qui donne de très nombreux lots d’huiles aux propriétés gustatives différentes, classés par variété ainsi que par date de récolte, c’est-à-dire par degré de maturité de l’olive.
« L’huile d’olive est un jus de fruit particulier, explique Eduard. Contrairement aux autres fruits, plus les jours passent et donc s’accroît la maturité de l’olive, moins la teneur en arômes est élevée dans le jus. Avec le développement des glucides, le spectre organoleptique rétrécit, là où il a tendance à augmenter pour les autres fruits« . Tous ces lots d’huile différents représentent ainsi autant d’ingrédients de base à partir desquels Eduard pratique lui-même ses assemblages. Et à la fin, il y en a pour tous les goûts : des huiles douces ou à l’inverse amères et ardentes ; des huiles au fruité intense ou alors peu développé ; des huiles monovariétales ou bien des blends (mélange de plusieurs variétés d’olives)…

Là encore, est-il besoin de le préciser, rien n’est laissé au hasard. Pour protéger l’huile de l’oxydation, les cuves sont non seulement hermétiquement scellées, mais renferment aussi de l’azote qui protège l’huile de tout contact avec l’oxygène. Résultat : pas une goutte au sol et aucune odeur d’huile rance dans l’air.
La chambre froide du moulin Mas de Flandi résume ainsi parfaitement la philosophie et l’oeuvre d’Eduard Susanna : c’est net, propre et sans bavure !
Discussion à bâtons rompus
avec Eduard
Sur le changement climatique
Le changement climatique a de nombreux effets sur le monde de l’oléiculture. En voici 3 illustrations évoquées par Eduard au cours de nos discussions :
1/ LE GOÛT DE L’HUILE
« Avec les années qui passent, on remarque que les saisons sont de plus en plus sèches. Dans les cultures non irriguées, les arbres et les olives sont donc de plus en plus soumis au stress hydrique. Cela résulte en une concentration plus élevée de polyphénols dans les olives et donc à des huiles à l’amertume et l’ardence plus marquées. Personnellement, je fais attention à équilibrer le goût de mes huiles en mélangeant les lots issus d’olives irriguées et non irriguées, car il ne faut pas non plus exagérer sur les taux de polyphénols ; passé un certain stade ce n’est plus si bon au goût !«
2/ LA RÉCOLTE DES OLIVES
« Avec la hausse des températures, il devient compliqué de récolter en octobre dans les régions les plus ensoleillées d’Espagne, et notamment en Andalousie, car les olives sont souvent trop chaudes quand elles arrivent au moulin pour être pressées convenablement. Alors certains choisissent de récolter la nuit, à la fraîche. Mais pour ce faire ils sont obligés d’allumer des torches ou des projecteurs, ce qui a un effet nuisible sur la faune qui perd ses repères… »
3/ LES RÉGIMES ALIMENTAIRES
« La prise de conscience des impacts de l’activité humaine sur le climat et la nature s’accompagne d’une remise en cause de nos régimes alimentaires et de nos modes de production. Il y a fort à parier que la population européenne s’orientera de plus en plus dans les années à venir vers un régime méditerranéen, avec plus de fruits et légumes, et moins de nourriture animale. Ce sera comme en France ou en Espagne il y a 100 ans, où on mangeait de la viande une à deux fois par semaine seulement. Or, les légumes c’est bon pour la santé et la planète, mais parfois ça peut manquer de goût, surtout en hiver. Pour y remédier, rien de tel qu’un bon filet d’huile d’olive extra vierge pour réhausser tout cela. C’est quelque part une véritable opportunité pour les oléiculteurs.«

Sur la place de l’huile d’olive dans la gastronomie
Comme de nombreux oléiculteurs, Eduard déplore que l’huile d’olive extra vierge soit si peu valorisée en règle générale, et l’huile espagnole en particulier. Au supermarché, dans les épiceries, au restaurant… Et tout cela commence dans la filière de production.
1/ Les prix de vente de l’huile en gros
« Bien que l’Espagne soit le premier producteur mondial, notre huile d’olive n’a pas toujours la meilleure réputation. Cela est lié à l’effet de volume bien sûr, mais aussi à la façon dont nous travaillons. Même si les choses évoluent, il y a encore trop de coopératives, où l’on mélange les olives et les huiles, et où il est par conséquent difficile de faire de la qualité. »
« Et puis il y a un problème de prix. Il est très difficile de s’en sortir si on veut faire de la qualité car les prix sont indexés sur les tarifs du commerce en gros. En 2019, le prix du litre en gros était de 2,10€ or, même pour les grosses exploitations, il est difficile de sortir un litre à moins de 2,70€. Et à ce prix là ce n’est pas toujours de la meilleure qualité… La situation est absurde, et mène à des débuts de révolte en Andalousie« .
2/ L’huile d’olive au restaurant
« Je ne suis pas chaud partisan des comparaisons à l’excès entre le vin et l’huile d’olive car ce sont deux produits différents. Néanmoins, ce qui se passe dans les restaurants me rend malade. Vous imaginez vous, quand vous allez au restaurant qu’on vous apporte le fond de la bouteille de vin que la table voisine n’a pas finie ? Non. Et pourtant c’est ce qu’il se passe avec l’huile. C’est devenu un simple lubrifiant alimentaire, et à force de le servir de la sorte on a rendu le consommateur imperméable à l’idée de payer pour de l’huile d’olive.«
« Je ne sais pas s’il faudrait faire une carte des huiles d’olive dans les restaurants gastronomiques, tout comme il y a une carte des vins. En revanche, ajouter un petit supplément de prix pour un produit servi avec une huile de qualité supérieure, cela pourrait fonctionner. Certaines pizzerias en Italie le font déjà : supplément de 1€ pour les pizzas assaisonnées à l’huile d’olive extra vierge, que le consommateur peut choisir entre plusieurs.«
3/ Le conditionnement de l’huile d’olive
« Je crois que nous faisons une erreur en proposant de l’huile d’olive par bouteilles de 75cl. Ce n’est pas une boisson qu’on boit en quelques heures. C’est un produit qui se consomme dans le temps, et qui malheureusement se dégrade avec le temps qui passe et l’exposition à l’air et l’oxygène. L’idéal serait de conditionner l’huile d’olive extra vierge dans des contenants de 25cl, de telle sorte à ce que l’huile n’ait pas perdu ses propriétés et sa qualité quand on arrive à la fin de la bouteille. Reste le problème écologique à régler…«

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