- Producteur : Youssef Fares
- Marque : House of Zejd
- Année : 2004
- Lieu : Beino, au Nord du Liban
- Oliveraie : 7000 arbres en propre mais 85% en fermage
- Variétés : Baladi
- Récolte : octobre et novembre
- Moulin : non
- Production : 200 tonnes par an
- Autres produits : huiles infusées, tapenades, olives, cosmétiques, etc.
- Spécificités : boutique à Beyrouth depuis 2013
Les rouages du marketing oléicole libanais
Youssef Fares est un entrepreneur dynamique, qui a lancé en 2004 sa marque d’huile d’olive libanaise House of Zejd. Son constat à l’époque était simple : en l’absence de marques établies au Liban, il avait devant lui un boulevard pour devenir le numéro 1 du pays. Quinze ans plus tard, son entreprise est certes un succès mais il estime qu’il aurait pu mieux faire. C’était sans compter sur les paradoxes de la société libanaise et l’immobilisme de ses dirigeants. Il nous explique.

In Olio Veritas – Bonjour Youssef. Quelle est l’histoire de House of Zejd pour commencer ?
Youssef Fares – Ma famille possède 7000 oliviers vers Beino, tout au nord du Liban, à la frontière syrienne. En 2004, j’ai quitté mon job pour faire de l’huile d’olive avec ces arbres et créer ma propre marque. L’idée de House of Zejd est assez simple : il s’agissait de combler un vide dans le marché libanais de l’huile d’olive, qui compte de très nombreux petits producteurs – plus de 100 000 – mais aucune marque d’envergure. J’ai voulu prendre cette place.
IOV – Mais est-ce possible avec « seulement » 7000 arbres ?
Youssef Fares – Bien sûr que non. Il faut faire du volume, avoir une gamme diversifiée, bâtir une chaîne logistique, avoir une boutique porte étendard, communiquer… Bref, je suis très rarement dans les arbres, mais plutôt ici à Beyrouth, à faire du marketing – au sens large. Et pour avoir le volume nécessaire, j’achète chaque année à une trentaine de producteurs des olives ou même de l’huile déjà pressée. Aujourd’hui la production de mes propres arbres ne représente plus que 5% de ce que je fabrique. Mais ce n’est pas grave : les clients n’achètent pas chez House of Zejd pour avoir l’huile de Youssef Fares, ils achètent la marque que j’ai mis des années à bâtir, en proposant de l’huile d’olive extra vierge, mais aussi toute une gamme de produits diversifiés: olives de table, tapenades, huiles infusées, savons, cosmétiques, etc.

IOV – Puisqu’on parle de marque et marketing, quel est votre positionnement ?
Youssef Fares – Nous produisons une huile équilibrée, au goût pas trop marqué car les Libanais n’aiment pas ça. Vous savez, je ne suis pas un idéaliste mais un business man : vous trouverez toujours une huile plus aromatique ou savoureuse qu’House of Zejd car nous faisons du volume ; cela dit notre produit reste tout à fait au dessus de la moyenne. Et notre huile haut de gamme a d’ailleurs remporté une médaille d’or au concours libanais Horeca l’an dernier.
IOV – Non seulement les Libanais n’aiment pas les huiles au goût prononcé, mais en outre ils semblent consommer majoritairement de l’huile rance. Quelle est votre analyse ?
Youssef Fares – J’ai une théorie à ce sujet. Jusque dans les années 1960-1970, tous les pays producteurs d’huile d’olive utilisaient les mêmes techniques et donnaient une huile peu ou proue similaire – et souvent rance. Les gens étaient habitués à ce goût, et le sont toujours aujourd’hui au Liban mais pas en Europe. Pourquoi ? Parce qu’en Europe la nouvelle technologie a permis, à partir des années 1970, d’améliorer considérablement la qualité de la production et les consommateurs ont vu leurs goûts évoluer peu à peu. Pendant ce temps là, au Liban, c’était la guerre civile. Nous avons donc raté le coche de la modernisation et aujourd’hui beaucoup de retard à rattraper !

IOV – Le Liban est un pays de commerçants, pourtant il n’y avait pas ou peu de marques d’envergure pour l’huile d’olive avant que vous ne vous attaquiez au marché. Comment l’expliquez-vous ?
Youssef Fares – Il n’y a jamais eu aucune filière oléicole dans ce pays. Je vais vous raconter comment ça se passe. Tout le monde connaît quelqu’un qui a des oliviers et fait un peu d’huile d’olive. Alors tout le monde achète à cet ami ou ce proche un, deux, trois bidons de 17 litres, qui couvriront les besoins en huile d’olive de la famille pour une année. Dans ce contexte, il faut vraiment beaucoup d’énergie pour sortir du système et aller à contre-courant. Quasiment personne ne l’avait tenté, et j’ai donc essayé. Je suis toujours là quinze ans après, j’ai donc en partie réussi. Mais je suis loin des rêves grandioses que je formais quand je me suis lancé.

IOV – Quels sont les principaux freins que vous avez rencontrés ?
Youssef Fares – Tout d’abord la mentalité libanaise. Les gens sont tout simplement incapables de collaborer, se faire confiance. Or je vous l’ai dit, je dois acheter 95% de ce que je vends à d’autres producteurs. Dans ces conditions, ce n’est jamais évident et je suis contraint d’être toujours sur mes gardes. Par ailleurs les pouvoirs publics n’ont rien fait pour créer une vraie filière oléicole dans ce pays, alors qu’il s’agit de la culture la plus importante du Liban. Figurez-vous qu’on ne peut même pas vendre d’huile d’olive au duty-free de l’aéroport de Beyrouth ! Le ministère et le concessionnaire se renvoient la balle, mais aucun ne souhaite faire avancer les choses. Je ne vous parle pas des propositions que nous avons faites de créer des labels, une AOP, bref tout ce qui pourrait aider à développer et mettre en avant notre patrimoine. C’est absurde et désespérant.

IOV – Pourtant vous arrivez tout de même à mener votre barque. Qui sont vos clients ?
Youssef Fares – Forcément à Beyrouth les choses évoluent plus vite que dans le reste du pays, et j’ai désormais une base de clientèle solide et fidèle. Une bonne partie est aussi constituée d’étrangers de passage ou résidant ici. Je multiplie les contacts à droite, à gauche, pour faire venir de nouveaux clients. J’ai de bons rapports avec l’ambassade du Japon par exemple, et chaque délégation en visite au Liban vient dans ma boutique. Je vends aussi beaucoup à l’international : Japon, Hong Kong, Singapour, les pays du Golfe. Je reviens du Brésil, qui est un marché à très haut potentiel notamment grâce aux 10 millions de Brésiliens issus de la diaspora libanaise. Et j’envisage de revenir sur le marché français, que j’avais quitté il y a quelques années car j’étais en complet désaccord avec la stratégie de mon distributeur sur place. Je vous le donne dans le mille : il était… Libanais !

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